Politique scientifique « Territoires et sociétés en AMAZONIE »

Thème 1. Les espaces amazoniens :  dynamiques, tensions et développement

 

Il s’agit de mieux appréhender les dynamiques, les tensions et le développement observés dans les espaces amazoniens et américains plus généralement en analysant ces territoires, passés et présents, en tant qu’espaces vécus géographiques, culturels et langagiers. Les sciences humaines et sociales montrent la grande complexité des dynamiques à l’œuvre dans les régions transfrontalières, en adoptant une perspective diachronique longue et interdisciplinaire. L’Amazonie étant un territoire éminemment disparate à tous égards, il est légitime de chercher à comprendre comment faire société dans un espace géographique dans lequel les antagonismes s’accumulent, au détriment d’un socle commun à identifier.

Si ce territoire est riche en ressources naturelles et en savoirs ancestraux, il est aussi un concentré d’inégalités et de pauvretés. L’indicateur de développement y est faible (Roselé-Chim, 2007). La cohabitation de réalités contrastées favorise des mouvements migratoires complexes et le développement d’activités informelles. Des pressions croissantes s’exercent ainsi tant sur les écosystèmes que sur les sociétés qui occupent cet espace, ce qui alimente des tensions multiformes qui doivent être étudiées. Plus encore, il importe d’analyser les rapports entre les États de la région et les capacités, ou les incapacités, à formuler et conduire des politiques communes, à s’inscrire dans des dynamiques de rapprochement au service des populations. La construction, en 2011, d’un pont transfrontalier franchissant le fleuve Oyapock, inauguré tardivement en raison de contentieux persistants entre la France et le Brésil, illustre bien les contradictions de cette dynamique de rapprochement : elle incite à dépasser les différends transfrontaliers à travers la normalisation des échanges et la mise en place de coopérations, mais elle peut également les exacerber en intensifiant les déplacements et les trafics illicites. À cet égard, un vaste champ de recherche reste à étudier, en collaboration avec des laboratoires partenaires à l’instar du CRIDEAU, du Centre international de droit comparé de l’environnement ou encore de l’Université des Antilles. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’analyser des difficultés ou des obstacles, mais également de réaliser un objectif, celui de développer des actions inversives et innovantes à travers des recherches-actions. Dans le cadre de sa politique scientifique, le laboratoire se propose en effet de nourrir des réflexions et actions qui soient au service de politiques intra- et trans-territoriales.

En synergie avec les recherches menées par nos collègues de l’Observatoire Hommes-Milieux Oyapock, l’Observatoire Brésilien des Frontières et l’Université Fédérale de l’AMAPA (UNIFAP), nous entendons également étudier comparativement les dynamiques interculturelles et les mécanismes de coopération transnationale des communautés frontalières en Amazonie et plus généralement dans les Amériques. En insistant sur une approche transversale, multiscalaire et pluridisciplinaire, le but est de dépasser le paradigme de la « ligne » (Dullin, 2014) pour percevoir la notion de frontière dans toute son épaisseur. Il faut, en effet, considérer ces régions comme des espaces vécus géographiques, culturels et langagiers, façonnés par la diversité des pratiques de sociétés multiculturelles (populations autochtones, bushinengés, ribeirinhos…) capables de développer des projets ou des dynamiques de vie, des stratégies et des outils adaptés à l’évolution d’une réalité complexe sur le plan géopolitique et humain (Bertrand et Planas, 2011 ; Benoît, 2018). Il importe d’interroger enfin le modèle centre-périphérie : les sociétés de frontière, souvent reléguées à la périphérie voire à la marge, développent leur propre centralité, notamment dans le cas amazonien. L’observation de ces territoires-limites, souvent perçus comme des angles-morts, doit donc permettre de porter un regard décentré sur le fonctionnement politique et social d’Etats marqués par la diversité et la pluralité.

 

Thème 2. Le patrimoine matériel et immatériel amazonien

 

La culture et le patrimoine occupent une place spatiale, économique, sociale et symbolique importante. Ils peuvent d’ailleurs être des leviers de développement pour les sociétés amazoniennes. Ce patrimoine matériel et immatériel en partage est néanmoins fragilisé par une pression foncière sans cesse accrue, tandis que sa valorisation souffre de connaissances scientifiques très inégales de part et d’autre des frontières (Mam Lam Fouck ; Hidair, 2011). Au XVIIIe et au XIXe siècles, les expéditions militaires et scientifiques participent à la constitution d’un imaginaire occidental sur l’Amazonie et plus généralement sur les espaces considérés comme « sauvages ». Ces expéditions contribuent à développer les connaissances sur la faune ainsi que sur la flore en Amérique et en Amazonie, tout en ouvrant la porte à une meilleure connaissance des populations amérindiennes (essor de l’anthropologie et de l’ethnologie, apports de l’archéologie). En outre, les récits de voyages ont généré des fantasmes qui ont alimenté des discours faisant de l’Amazonie le support d’images et de représentations, négatives ou valorisantes, qui perdurent encore aujourd’hui. Les évolutions scientifiques à partir des années 60 ont permis de largement dépasser une vision souvent essentialiste des mondes amazoniens, faisant glisser le regard de l’Amazonie fantasmée à l’Amazonie réelle (Vidal ; Laval, 2019). Dans cette démarche, les populations et les communautés occupent une place centrale dans l’élaboration et la transmission des savoirs. En collaboration avec les universités partenaires au Brésil, il s’agit de poursuivre l’étude des différentes facettes culturelles, linguistiques, éducatives qui caractérisent ce monde multiculturel en permanente mutation. Les chercheurs de MINEA se pencheront sur la situation des populations en contexte multilingue et plurilingue, notamment pour interroger la revalorisation des langues et cultures régionales en lien avec les processus de constructions identitaires et mémorielles Langue et Capdevila, 2009 ; Chivallon, 2012). Ces constructions sont mouvantes, sans cesse alimentées par les stratégies individuelles comme collectives dans un monde pluriethnique ainsi que par les mouvements migratoires qui favorisent contacts, échanges, transmissions et réinventions. Pour rendre compte de cette richesse, MINEA souhaite accompagner la recherche documentaire en créant un Centre international de documentation et de ressources sur le patrimoine matériel et immatériel en Amazonie. Le laboratoire dispose d’ores et déjà d’un fonds documentaire qui est en cours de numérisation et de valorisation. Ceci permettra notamment de poursuivre le travail d’inventaire et d’analyse des productions guyanaises écrites et orales (Blérald, Lony, Gyssels, 2014 ; Copin, Buffet, 2016 ; Wood, Mac Leod, 2018) tout en développant des recherches comparatistes sur les liens entre la littérature guyanaise et les autres littératures, notamment américaines. D’autre part, les questions environnementales, dans leurs dimensions écologiques, humaines et patrimoniales, appellent des réponses juridiques aptes à satisfaire les objectifs de protection (Breton, 2011) et de développement durable. L’Amazonie offre en effet une parfaite illustration du phénomène de territorialisation du droit aujourd’hui à l’œuvre. Enfin, les questions de mise en valeur et de conservation du patrimoine invitent naturellement à une réflexion sur la mise en tourisme de territoires encore peu exploités. La problématique du tourisme dans l’espace amazonien sera ainsi analysée, notamment sous l’angle économique, anthropologique, social. Les chercheurs de MINEA participeront ainsi à nourrir les réflexions des acteurs du tourisme (éco)-patrimonial et à aiguiser les réflexions des décideurs locaux. Une analyse de l’articulation souvent délicate entre d’une part les impératifs de la préservation et de la valorisation du patrimoine matériel et immatériel amazonien et d’autre part la recherche de retombées économiques sera prolongée par une approche transdisciplinaire.  Les collaborations engagées avec les laboratoires de recherche en Guyane et aux Antilles permettront de confronter les points de vue sur la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes.

 

Thème 3. Démocraties et populations amazoniennes au XXIe siècle

 

La résurgence et la reconfiguration des populismes en Amérique latine depuis le début des années 2000 mènent enfin à revisiter les rapports complexes entre démocraties et populations latino-américaines. Le champ historiographique est certes largement balisé (Vayssière, 1993) mais il ne s’est guère arrêté sur des mondes amazoniens souvent laissés à l’écart par leurs Etats respectifs. L’approche régionale combinée à un jeu d’échelles, depuis les communautés jusqu’à la dimension internationale, doit permettre de contribuer à renouveler le regard sur « les Amazonies ». Il s’agit ainsi d’examiner comment ces espaces marginalisés trouvent leur place dans l’évolution politique, juridique, sociale et culturelle d’Etats marqués par des pratiques populistes réinventées, notamment par l’activité des églises évangélistes. Ainsi se pose la question des généalogies, des traditions, des pratiques culturelles, cultuelles et religieuses amazoniennes. Dans un tel contexte mouvant, il est nécessaire d’interroger non seulement la construction et l’expression sociale des identités individuelles comme collectives, mais aussi d’examiner comment différentes formes de démocratie sont élaborées à des échelles variées. Les rapports croisés entre communautés et institutions se trouvent ainsi au centre de notre réflexion. Il s’agit également d’étudier la manière dont les pouvoirs publics et les institutions à caractère éducatif, associatif, social et sanitaire prennent en compte les croyances et les représentations des individus. Inversement, il ne faut pas oublier qu’en parallèle les communautés observent et influencent les institutions. Il est donc crucial de percevoir ces interactions comme de véritables synergies plus ou moins efficientes.

Le laboratoire se donne enfin pour but d’analyser les mutations sociales contemporaines (Lachance, 2018 ; Pinel, Gaillard, 2013). En effet, le contexte international actuel (retour des populismes, doxa néo-libérale, mondialisation) amène à questionner d’une part les politiques menées dans les différents États qui composent l’Amazonie et d’autre part le rôle des organisations non gouvernementales dans la protection des populations vulnérables et marginalisées. A bien des égards, les femmes des régions amazoniennes sont particulièrement concernées par une vulnérabilité polymorphe, ce qui fait la grande prégnance d’approche intersectionnelle des féminismes.

En privilégiant l’échelle régionale et le jeu d’échelles, le laboratoire MINEA ambitionne de participer au renouvellement des recherches en sciences humaines et sociales tout en s’insérant dans une dynamique de coopération internationale. L’implication de ses chercheurs et de ses doctorants dans ce projet de recherche fédérateur permettra au laboratoire de se développer tout en s’inscrivant dans une démarche collaborative avec les laboratoires de Guyane (en particulier l’USR mixte LEEISA et l’UMR EcoFoG) et ses partenaires à l’échelle régionale, nationale et internationale.

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